Prête-plume, écrivain fantôme, auteur de l’ombre, doublure… ton travail est un peu mystérieux, en quoi consiste-t-il exactement ?
J’explique toujours au commanditaire du roman (pour un récit de vie c’est un peu différent) qu’il y a trois étapes : la récolte des informations, la rédaction du plan et la rédaction en elle-même.
À chaque étape, c’est lui qui décide.
La récolte des informations passe par la rédaction de fiches qui sont validées une à une. Ensuite vient la rédaction du plan. Là encore, c’est lui qui décide. Et enfin, la rédaction du texte proprement dite. J’envoie les chapitres ou les parties les unes après les autres. Je les modifie à sa demande puis je passe à la suivante seulement quand il a validé la précédente.
Mais tous les commanditaires ne se ressemblent pas, comment fais-tu pour t’adapter ?
En gros, on peut distinguer trois types de commanditaires. Le premier, c’est celui qui a son roman dans la tête depuis des années, qui a déjà tenté d’écrire des chapitres, mais qui est resté coincé à un endroit parce que l’intrigue devenait foisonnante, qu’elle partait dans tous les sens ou au contraire faute de carburant.
Ou tout simplement parce qu’il ne trouvait plus le temps de le rédiger.
Ou encore parce qu’il trouvait le résultat en dessous de ses attentes.
Bref, à un moment, il s’est dit qu’il ne pouvait pas l’écrire lui-même.
Dans ce cas-là, on commence par réunir toutes les informations utiles à la rédaction pendant les entretiens : les personnages, les lieux, les idées d’intrigue, les thèmes. Ça signifie élaguer, supprimer les éléments contradictoires et rédiger des fiches propres qui rassemblent les éléments importants. Tout se réalise pendant les entretiens : le narrateur répond à une série de questions que je lui pose pour remplir des tableaux organiques qui donnent déjà une idée des péripéties. Ce sont des éléments signifiants. Par exemple, concernant les personnages, on ne va pas se demander s’il a les yeux bleus ou verts (sauf si ça a de l’importance pour l’histoire), mais en quoi il croit, quelles sont ses valeurs et pourquoi il veut atteindre tel objectif.
Quand le sujet l’exige, je peux aussi effectuer des recherches documentaires. Tout dépend de la connaissance qu’a le commanditaire du sujet. Souvent, il veut écrire un roman en lien avec son domaine d’expertise. Par exemple, un économiste voudra écrire un thriller politico-financier. Donc il connaît très bien le sujet et me transmet sa connaissance. Si ce n’est pas le cas, j’effectue moi-même les recherches documentaires.
Les fiches clarifient, mais rien n’est gravé dans le marbre. Ce qui signifie qu’on peut toujours revenir en arrière tant qu’on n’a pas mis le point final à l’histoire. Et heureusement, car ce type de commanditaire a souvent énormément d’idées et elles jaillissent en continu. Il me revient de prévenir le commanditaire de maintenir la cohérence.
Mon rôle est alors de faire des propositions pour rendre l’ensemble congruent. Mais c’est le commanditaire qui choisit de suivre mes propositions ou pas. Je propose, il dispose.
Tu parlais de deux autres types de commanditaires. Quels sont-ils ?
À l’autre bout du spectre se trouve le commanditaire qui a seulement envie ou besoin d’avoir un roman qui porte son nom. Souvent, il ne connaît que le genre (policier, romance historique, thriller…) et a parfois une idée du message qu’il veut transmettre dans ce texte.
Dans ce cas, nous procédons de la même manière, mais je pose davantage de questions et surtout, je fais davantage de propositions. Assez vite, le commanditaire se prend au jeu, s’empare du sujet et se met à avoir des idées. Mais parfois, j’écris le roman à partir de quelques prémisses, presque uniquement à partir de mes propositions. Quel que soit le fonctionnement, j’écris uniquement ce qui est validé par le commanditaire pendant l’entretien ou par le biais de documents rédigés (fiches, synopsis, texte) à toutes les étapes du processus.
Et le troisième type de commanditaire ?
« Le » troisième est multiple : il rassemble ceux qui se trouvent entre les deux précédents ! C’est-à-dire entre celui qui a trois idées à la seconde et celui qui veut juste « un polar qui se passe Helsinki ».
Finalement, tu as plus parlé des commanditaires que de ton travail…
Oui, parce que mon travail consiste à m’adapter à la forme d’esprit de chaque commanditaire, à me mettre dans ses chaussures et à travailler avec lui en respectant ce qu’il a déjà écrit, ce qu’il a à l’esprit, ce qu’il cherche à faire avec ce livre.
Mon objectif : que le commanditaire n’ait rien d’autre à faire que me dire ce qu’il veut voir écrit et me raconter ce qu’il a dans la tête. Et moi, je prépare tout avant de rédiger finalement l’histoire.
Tu as évoqué un synopsis, qu’est-ce que c’est ?
Une fois la préparation terminée et les recherches documentaires effectuées (quand c’est nécessaire), il faut écrire une sorte de long résumé de l’histoire telle qu’elle se déroulera dans ses grandes lignes scène par scène. Le synopsis représente environ un sixième de la longueur de l’histoire, parfois un septième.
Pour y parvenir, il faut avoir déjà bien travaillé sur l’intrigue dans la fiche correspondante qui donne une idée assez précise des mécanismes de l’histoire : les grands événements, les étapes clefs, les nœuds dramatiques, les retournements, les arcs d’évolution des personnages. Une fois ces éléments précisés dans la fiche, je peux rédiger le synopsis. À ce stade, le commanditaire a déjà des idées pour certaines scènes, mais pas toutes. Je lui fais alors des propositions. Et finalement, il reçoit un synopsis résumant toutes les scènes qui seront développées dans l’histoire. En langage scénaristique de cinéma, on appelle ça un traitement.
Pourquoi faut-il passer par cette étape ?
Cette question nous entraînerait très loin… Disons que cette étape est celle où se décident les intentions et le découpage en scènes. Grâce à elle, le commanditaire dispose d’une vision globale de son histoire sous un format maniable. C’est donc le moment idéal pour voir si un passage est trop lent, pas assez rythmé, trop rapide. Ou si un personnage n’est finalement pas assez présent.
Mais tout ça n’a-t-il pas été déjà vu pendant la préparation ?
Oui, mais il y a toujours une différence entre la théorie et la pratique. Je pense par exemple à une histoire (je reste volontairement floue pour des raisons de confidentialité) dans laquelle le commanditaire voulait qu’un personnage important, mais caché intervienne seulement à partir du dernier tiers, moment où il révélait sa vraie nature. En lisant le synopsis finalisé, qui correspondait à ses demandes, il est apparu que l’intervention de ce personnage ressemblait trop à un deus ex machina, lui faisant perdre sa force. J’ai fait plusieurs propositions au commanditaire pour y remédier, il a choisi ce qui lui convenait le mieux.
C’est le gros avantage du synopsis : il est toujours beaucoup plus facile de modifier l’histoire à ce stade qu’une fois que tout est rédigé.
La rédaction, justement, on y arrive enfin !
Oui, c’est long, pour une raison très simple : sans préparation, c’est la panne sèche assurée au bout de quelques chapitres. Il faut compter plusieurs mois. Tout dépend de la taille du roman.
La phase de rédaction est souvent la plus excitante pour le commanditaire : il voit littéralement son roman s’écrire à chaque fois qu’il reçoit un chapitre. Il en a choisi le style et le genre, il voit le résultat de ses décisions.
À la fin, je l’invite à relire le roman en entier pour vérifier qu’il ne veut pas effectuer d’autres changements. En général, ils restent mineurs.
Et c’est fini !
Enfin, pour le commanditaire, c’est le début d’une autre aventure : l’édition du texte. Recherche d’un éditeur ou auto-édition ? Pour certains, c’est très simple, ils savent dès le départ ce qu’il en sera, pour d’autres, c’est plus flou. Mais c’est une autre histoire.
Voilà en quoi consiste mon travail.
C’est un travail de longue haleine…
Le processus complet dure au moins un an pour un livre de 300 000 signes. Il faut prendre le temps de bien faire les choses.
Et à la fin, tu n’as pas un petit pincement au cœur de voir le livre partir sans toi ?
Non, pas du tout. D’abord parce que ce n’est pas le mien, mais celui du commanditaire. Ce point est clair dès le départ. En tant que prête-plume, je fais bénéficier quelqu’un de mes compétences d’écriture créative, et c’est tout.
On me demande souvent si je ne suis pas frustrée, pas du tout ! C’est une plongée passionnante dans un autre imaginaire et j’ai beaucoup de plaisir à mettre mon expérience d’écriture au service d’une imagination autre que la mienne. Sans compter que ça m’assouplit l’esprit.
J’aime beaucoup voir ce qui arrive à ces livres, je les regarde de loin vivre leur vie. Et quand le commanditaire dit en interview qu’il en est l’auteur, c’est bien vrai : les idées viennent de lui, le genre et le style viennent de lui. Moi, je n’ai fait que l’aider à concrétiser son envie d’écriture.
Image © Gordon Johnson